La sécurité des coureuses: osez affronter l’obscurité

Auteure

LaGazelle

Publié

December 15, 2024

En hiver, de nombreux coureurs se trouvent confrontés à une réalité: devoir peut-être courir dans l’obscurité. Et vous l’avez sûrement remarqué, les femmes sont de plus en plus nombreuses à adopter la course à pied comme sport pour non seulement découvrir ce dont elles sont capables, mais aussi pour explorer rues, ruelles et tous les autres espaces publiques à leur portée. Mais cette pratique peut s’accompagner de certaines peurs que je trouve nécessaire d’aborder aujourd’hui avec vous! Et même si cet article s’adresse aux femmes, si vous êtes un homme qui n’est pas plus confortable de courir la nuit tombée, j’espère que la discussion et les astuces sont aussi bonnes pour vous!

La peur au ventre

Malheureusement, même s’il y a autant d’hommes que de femmes qui courent les soirs d’hiver, les femmes se sentent plus en insécurité. Effectivement, aucune femme n’ignore les risques de s’aventurer le soir dans le noir. D’ailleurs, l’application de running Strava a sorti une donnée parlante : « 45% des femmes ne courent pas avant le lever du soleil et 16% d’entre elles ne sortent pas une fois la nuit tombée ». Il y a aussi la marque Adidas qui a fait un sondage auprès de 9000 coureurs et coureuses âgés de 16 à 34 ans venant de 9 pays. Résultat : 92% des femmes se disent inquiètes pour leur sécurité lorsqu’elles courent. 38% parmi elles ont été victimes de harcèlement physique ou moral. 46% de 38% de ces femmes ont renoncé à la course depuis ces événements 🙁

Ce n’est pas pour vous faire peur, mais simplement vous rassurer que vous n’êtes pas les seuls si vous ne pouvez pas vous lancer dans votre sortie sans la peur au ventre. Alors que j’écris cet article, je demande à mon mari : « chéri, je ne cours pas souvent seule la nuit (sauf lors des ultras trail), mais si je courais régulièrement à la noirceur, est-ce que tu serais inquiet »? Mon mari surpris de la question : « …plus le soir que tôt le matin ». Et pourquoi tu t’inquiéterais? « …mais tu sais, comme femme… ». Entre les lignes, je comprends son inquiétude face au manque de sécurité la nuit quand on est une femme. Donc, même les hommes le savent! Bon, l’échantillon d’un seul homme ne suffit pas pour faire une telle déclaration. Mais ce que ça me dit quand même c’est que, ce n’est pas que dans nos têtes. Quand on est une femme, courir à la noirceur n’est pas sans risque.

Nonobstant ce risque, on aime notre sport, on aime notre liberté et on refuse de céder à la peur et à la paranoïa nourrie par de nombreux fait-divers.

L’appropriation de l’espace publique

J’ai quand même envie d’ouvrir sur une question que je sais complexe, mais légitime. Pourquoi l’espace public n’appartient pas de façon naturelle aux femmes? Pourquoi on se sent en insécurité dans les rues autant lors de l’activité physique, qu’en général? Pourquoi comme femme on va souvent d’un point A à B, sans s’attarder dans cette espace public?

Ok, j’avoue avec tous ces pourquoi on dirait mes enfants pour qui c’est leur question préférée! J’ai quand même tenté de comprendre et en faisant mes petites recherches, je suis tombée sur différents articles forts intéressants. Plusieurs font référence aux recherches de Dominique Poggi. Il avancerait que des installations sportives dans les espaces publics ne sont pas toujours conçues pour les femmes. Pourquoi? Selon lui, à une époque, on trouvait plus d’hommes à des postes de conceptions et directions de sports, donc en quelque sorte plusieurs choses étaient pensées par les hommes pour les hommes. Par conséquent, les installations comme les terrains de basket-ball ou encore les espaces pour faire de la musculation ou du skate dans nos parcs publics vont souvent malheureusement être occupées majoritairement par des hommes que des femmes.

Même chose pour les villes qui pendant longtemps ont pensé les espaces publics par et pour les hommes. Ces espaces pensés “neutres” par les hommes perpétuent la “non-remise en question des rapports sociaux de sexe selon les intérêts des groupes dominants” (Cardelli, 2021). Si l’enjeu d’égalité des genres se cache derrière la visibilité des femmes dans les espaces publics, les conséquences, au-delà d’exercer une pratique sportive, sont nombreuses. En effet, c’est entre autres par l’espace public que les personnes participent à la vie politique, culturelle, sociale et économique. Ce n’est donc pas par caprice ou par envie simplement d’être en mesure de “flâner” sur un banc, mais bien d’avoir le droit de participer pleinement à la construction de notre société.

Par ailleurs, les femmes ont consciemment ou inconsciemment intériorisé l’idée qu’elles ne sont pas autorisées à se mouvoir librement dans l’espace public contrairement aux hommes (Lieber et al., 2020).

Aussi, malheureusement, les violences envers les femmes dans l’espace public ne sont pas toujours considérées dans les politiques locales de sécurité. La pertinence de ce sujet dans ces politiques, parfois, n’apparaît pas aux yeux de certains hommes politiques. Par conséquent, les femmes peuvent vouloir occuper l’espace public, mais plusieurs d’entre elles n’oseront pas le faire. Pourtant, ce sont autant d’opportunités manquées de se connecter entre citoyens, de se relier aux initiatives locales et d’élargir le réseau relationnel qui permet solidarité et inspiration!

Les raisons de l’absence de la femme dans cet espace public sont plus nombreuses, complexes et nuancées que ce que je vous partage là, mais chose certaine, les femmes et les hommes ne partagent pas les mêmes pratiques de l’espace public. Effectivement, ce n’est pas les mêmes cheminements, utilisation, sensations, etc. Nous avons besoin d’une meilleure inclusion dans les processus de décision des politiques publiques. D’ici là, moins il y a de femmes qui prennent cet espace, moins il y en a qui osent le prendre. Et si comme sportive on occupe cet espace public même en hiver, même en soirée, qu’on se donne ce droit, il y aurait plus de femmes dans cet espace public, dans les rues et on pourrait alors instaurer ce cercle vertueux (Voir les travaux de Dominique Poggi). Vous ne saviez pas que vous aviez autant de pouvoir, n’est ce pas? Eh oui, comme sportive, on peut être un agent de changement une nuit à la fois!

D’ailleurs, plusieurs groupes de course à pied se forment de plus en plus dans les villes pour profiter de l’effet de groupe dans l’appropriation de l’espace public. À ce propos, j’aimerais beaucoup rejoindre le 6AM club de mon quartier, mais il me manque encore un peu de courage pour mettre mon alarme à 5h30. N’empêche, c’est une communauté de course qui je pense permet de profiter du bonheur de courir aux femmes, mais aussi aux hommes qui ne seraient pas à l’aise de courir avant le lever du soleil (qui est, au moment d’écrire cet article, à 7h22 le 7 décembre à Montréal). Pour une femme qui aime courir le matin, mais qui a peur de le faire à la noirceur, elle ne peut envisager en hiver de le faire avant 7h00 passé ☹ Tu te rends compte!

Bref, la bonne nouvelle, c’est que des initiatives se multiplient pour redonner le sentiment de sécurité aux femmes dans les espaces publics. Certaines villes, clubs et organismes ont embarqué en adoptant des programmes et des activités qui visent un espace public sécuritaire et je les salue! Mais si la mobilité des femmes a connu des transformations au cours de ces dernières années, elles n’ont pas pour autant le même accès aux services qu’offre la ville ni la même capacité à s’intégrer dans la collectivité.

Astuces et conclusion

Courir est et reste un acte libérateur! Et la course nocturne devrait être accessible à tous. D’ailleurs, elle a des bienfaits nombreux dont le fait de courir au calme alors que la pollution sonore et le rythme de la ville diminuent. C’est dommage que certaines femmes ne puissent pas en profiter à cause du sentiment d’insécurité. En attendant que le monde tourne un peu plus rond, il y a des choses que chacun de nous peut faire pour surmonter l’inquiétude et le stress liés à l’obscurité particulièrement l’hiver. Il y a deux types de stratégies selon Mme Cardelli, chercheuse en études genre. D’un côté nous avons ceux qui perpétuent des normes de genre qui s’inscrivent dans une forme de résilience. Il y aurait alors l’évitement, l’anticipation et la planification, le positionnement dans l’espace, et l’invisibilité des corps. Et de l’autre côté, nous aurions des stratégies de résistance dans lesquelles on peut trouver le fait de casser les codes du genre, gagner en confiance, communiquer avec le “prédateur” et résister en groupe.

Je vous avoue que je ne crois pas qu’il soit facile de commencer par les stratégies de résistance, encore moins pouvoir faire les deux stratégies. Pour ma part, je me protège en adoptant les stratégies de résilience avant d’aller au combat.

Voici une liste non exhaustive de stratégies que je préconise:

  • Commençons par les réseaux sociaux. Effectivement, si vous êtes ultra connectés et que vous n’allez jamais nulle part sans informer vos abonnés, méfiez-vous, on n’est jamais à l’abri des gens peu recommandables. Il est important de ne pas communiquer des informations par les réseaux sociaux qui peuvent permettre à une personne de vous retrouver. La technologie est super pour plusieurs choses, mais côté sécurité, ce n’est pas son point fort. Alors, évitez le plus possible les localisations sur Strava ou d’autres applications qui donnent accès à des informations sur vos sorties à savoir où et quand. Vous voulez partager vos sorties pour encourager et inspirer? C’est super et vous pouvez toujours le faire après vos entraînements en prenant soins d’enlever leurs localisations surtout quand le point de départ est près de chez vous. D’ailleurs, ce conseil s’applique autant pour les entraînements le jour que la nuit!
  • Deuxièmement, c’est important de bien choisir son itinéraire. Même le jour, idéalement explorez des endroits fréquentés. En plus, les soirs et les matins d’hiver, privilégiez les parcours éclairés afin d’avoir une bonne visibilité de votre environnement pour voir ce qui se passe autour.
  • Comme vous avez besoin de voir ce qui se passe autour de vous, aussi vous aurez besoin d’être vu! C’est mon troisième conseil. Tenues bien colorées, vêtements ou équipements réfléchissants, lampe frontale ou pectorale, n’ayez aucune limite à votre imagination pour vous faire voir par d’autres. J’ai envie d’ajouter que ce conseil s’applique même si votre parcours est quand même éclairé. Vous ne serez jamais trop visible!
  • Le point suivant est très important, même s’il est un peu contre nature pour les coureurs. Généralement, on aime la course à pied à cause de sa capacité à nous déconnecter de nos tracas et à nous alléger au point d’oublier qu’on court. On se permet alors de penser à tout et rien, le cœur léger. Mais surtout la nuit, essayez de revenir de temps en temps sur la terre et soyez attentifs aux individus autour de vous. Effectivement, attention aux attitudes bizarres, à ceux qui vont dans la même direction que vous ou dans le sens contraire, à ceux qui changent de direction, bref, au besoin changer de direction ou mettez fin à votre course si vous avez un mauvais pressentiment. En parlant d’être attentive, si comme moi, vous êtes habitué à courir avec les écouteurs, baissez le volume svp même si ça vous sortira de votre bulle peut être, mais au moins vous entendrez s’il y a de quoi d’anormal.
  • Finalement, je ne peux que terminer sur l’essentiel : l’instinct. Oui, faites confiance à votre instinct. Si vous ne sentez pas un parcours, qu’une personne vous paraît louche, changez vos plans. Ça ne sert à rien de courir en mode « boule au ventre ». Ne nourrissez pas la peur vous-même, cherchez au contraire à vous en débarrasser pour de bon! En tant que femme, il y a l’insécurité qu’on ressent dans les espaces publics et le pouvoir qu’on peut donner à ce sentiment de nous paralyser.

Vous n’échapperez peut-être pas aux sifflements, klaxons et paroles impolies de certains hommes, mais ces micro-agressions ne vont souvent pas plus loin que des mots. Alors, même si c’est suffisant pour nous enlever le goût de courir en public, ne laissez personne vous enlever ce plaisir.

Pour chasser la peur, il faut tenir et résister. Luttez seule et/ou en groupe pour la sécurité jusqu’à ce que les femmes n’aient plus peur d’aller courir ni le jour ni le soir!

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