Nous voilà au mois de décembre en conclusion de cette année 2023 et j’avais envie avant même de parler d’une sorte de bilan, de vous partager des témoignages, en commençant par le mien, de personnes pour qui la course à pied a littéralement changé leur vie. Non seulement je fais partie de ces personnes, mais peu importe le sport que vous pratiquez, votre occupation actuelle et l’étape de la vie à laquelle vous êtes, je crois profondément qu’il y a de ces choses qui contribuent à nous sortir la tête de l’eau. Alors, c’est ma façon d’honorer la vie et d’être reconnaissante pour tout ce qui nous aide à avancer vers la personne que nous voulons être.
Une part de moi
C’est le 30 octobre, la neige et la pluie se mélangent pour ne laisser que du «sloche». Son chéri et elle courent pour attraper l’autobus direction le palais de justice de Montréal. Elle ne vaudrait pas être en retard en ce jour si déterminant pour sa vie. Il y a de ces étapes qu’il ne faut pas manquer, qu’on a intérêt à être présent et bien réveillé. Alors qu’il attende l’autobus, une voiture l’envoie la moitié d’eau accumulée au bord du trottoir. Elle s’est dit que c’est un signe de plus, la vie est contre elle, elle anticipe le pire. Elle a mal dormi, elle risque d’être en retard, son pantalon est mouillé et devant tous ces inconforts, l’angoisse monte en flèche. Il y a 20 ans, en juin 2003, une journée d’été, elle s’appelait alors Aline Uwimbabazi lorsqu’elle a quitté le camp de réfugiés en Ouganda. Le lendemain, une journée de printemps/été au Québec, elle se nommait désormais Gisèle Mpaka.
C’est ce jour-là que je devais savoir si la jeune Aline ne resterait en vie que dans ma mémoire. C’était la journée du jugement. Un juge allait trancher après 4 demandes de changement de nom depuis 2016. Mais peu importe sa réponse, je serais allé au bout pour Aline, j’aurais essayé de remplir le casse-tête de ma vie. Rien de désolant qu’un casse-tête non achevé. Ce n’est pas une question de nom que d’identité et de l’appropriation de son soi. Alors, la nuit blanche, le stress, le doute, l’angoisse, la peur, lundi 30 octobre, j’ai essayé bien que mal d’accepter tout, c’est le prix à payer pour savoir quel morceau de casse-tête je dépose sur mon présent afin d’avancer sans me retourner.
Je me suis donc préparé à m’exprimer, à argumenter, à justifier ce besoin de lire sur mes diplômes, sur notre certificat de mariage ou encore sur les actes de naissance de nos fils, Aline Uwimbabazi. Plus j’y pensais, plus ça me coupait le souffle, alors j’ai écrit pour ne pas laisser mes émotions noyer mes arguments dans les larmes… Ce jour-là, je ne passerai jamais devant la juge. Je la verrai de loin alors qu’elle traite différents dossiers du jour. Seulement, à la lecture de ma demande, elle dira qu’il est temps de mettre fin à cette souffrance, à ma souffrance. En deux phrases, elle a autorisé l’état civil du Québec de procéder à mon changement de nom. En deux phrases, Aline a repris vie. Aline Uwimbabazi, c’est moi. Nous avons pleuré de joie, mon chéri, notre avocate et moi. Nous avons crié et sauté de joie devant le palais de justice. Depuis, la joie côtoie l’adaptation. Aline, j’espère que tu m’as suivi comme l’ombre de moi-même, car comment dire: même s’habituer à soi-même, c’est tout un défi!
La course et moi
C’est en 2011 que je me suis mis à la course à pied. Ces temps-là, j’avais déjà plusieurs hospitalisations en lien avec une détresse que la petite Aline ne pouvait contenir. J’avais vécu le génocide au Rwanda, la guerre civile au Congo, l’exploitation sexuelle en Ouganda et mon arrivée au Québec, alors que je ne savais même pas où se trouve le Canada sur la carte encore moins le Québec, ce qui est aujourd’hui un cadeau semble une continuité du cauchemar à l’époque. Je devais à nouveau m’adapter seule avec mon grand frère dans ce nouvel environnement tout en ayant des vies au contenu pourrit. Lorsque j’ai croisé la course sur mon chemin, ça a simplifié ma vie. Je n’avais pas besoin de parler, je n’avais pas besoin de penser, pas besoin de calmer la tempête en moi pour sentir mes pieds sur le sol solide.
Un coup de foudre automatique, même si je n’ai pas couru tout de suite dans le plaisir. La course à pied m’a accepté comme j’étais, m’a prise avec mes carences et m’a permis de mettre un pied devant l’autre avec ou sans émotion. C’est un sport qui a été mon refuge le temps de ramasser les morceaux de ma vie et d’en faire quelque chose. J’ai couru pour me fuir, après j’ai cherché à me rencontrer et aujourd’hui, je peux m’évader en complicité avec moi-même. Alors au nom de Gisèle et d’Aline et de tout ce que je suis, merci à la course à pied!
En conclusion de mon propre témoignage, je citerai cette personne : « Tu n’es peut-être pas là où tu voudrais être, mais tu n’es plus là où tu étais. Tu as déjà beaucoup avancé. Malgré les obstacles que tu as traversés, tu es toujours debout. Sois fier de toi. Sois fier de tes progrès. Ce n’est pas le moment de te relâcher. Ce n’est pas le moment d’abandonner. Continue, tu arriveras à ta destination ! »
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